Sur les tapis rouges et les campagnes de pubs, les stars-ados de Netflix deviennent les nouvelles égéries des marques de luxe. Mais que leur veulent-ils tous ?


Millie Bobby Brown est plus cool que la plus cool de tes copines. Débarquée dans le star-système à 12 ans, la star de Stranger Things est fraiche mais professionnelle, enfantine mais mature, drôle mais engagée et surtout, elle fait le tour des talk-shows avec un plaisir non feint. Et, boy, qu’est ce qu’elle rappe. Elen DeGeneres, Jimmy Fallon et Jimmy Kimmel se l’arrachent.

Et ce ne sont pas les seuls. Trois mois après le lancement de la série, en octobre 2016, Millie Bobby Brown décroche sa première couverture pour le magazine de mode indépendant So it Goes. Elle est photographiée par Lauren Dukoff, photographe américaine au portfolio impressionnant : Beyonce, Lady Gaga, la couverture de l’album 21 d’Adele, la Princesse de Monaco, mais aussi de nombreuses couvertures pour Vogue, Vanity Fair, Elle ou W Magazine. En couv’, MBB s’affiche en bombers kaki, robe en dentelles rose et Dr. Martens. Une modèle « extrêmement professionnelle », raconte la photographe pour Jalouse, « mais avec toute l’énergie et la fantaisie d’une jeune fille ». Au fil des pages, on la voit fixer l’objectif, déterminée et confiante. Le même mois, elle fait la couverture de Interview magazine. Puis elle enchaine: Variety, Dazed, L’Officiel, Elle, Teen Vogue… tous veulent un flash de la starlette.


Si Millie est de loin la plus populaire, elle n’est pas la seule a affoler la mode. Début mars, sa co-star Sadie Sink défilait pour Undercover à la Fashion Week de Paris. Le même mois, l’actrice de tout juste 16 ans débarquée en saison 2 de Stranger Things dans le rôle de Maxine, une ado tomboy adepte de skate, fait la couverture de System, magazine de mode britannique pointu. En décembre 2017, deux mois après le lancement de la seconde saison, on voyait déjà l’actrice dans la campagne Whispers de Miu Miu.

125 millions de clients


Avec leurs 4,3 et 16,8 millions de followers Instagram respectifs, Sadie et Millie ont de quoi donner une caisse de résonance aux marques dont elles se font égéries et toucher une population au potentiel économique intéressant : les ados. « Entre 16 et 25 ans, le goût se forme et va rester, posait Frédéric Godart, auteur de «Sociologie de la Mode » (La Découverte, 2010) pour expliquer la ruée du luxe vers l’appli pour ado Snapchat. Il y a une très forte fidélité aux marques. »

Pourtant, analyse-t-il aujourd’hui, « ce qui est intéressant au-delà de l’âge des égéries, c’est le type d’audience qu’on veut approcher. » Avec 125 millions d’abonnés à travers le monde, Netflix est un réservoir immense de clients potentiels. La plateforme tient ses audiences secrètes mais Stranger Things aurait réuni 8,2 millions de spectateurs dans les 16 premiers jours de son lancement, l’un des plus gros hits de la plateforme. En 2017, elle était « la série la plus regardée en famille » sur Netflix France. En comparaison, la série documentaire Chef’s Table réunirait 19 millions de spectateurs dans le monde entier.

Non seulement le nombre d’abonnés augmente de manière fulgurante, mais leurs profils changent, révèle le cabinet américain Civic Science : ils sont désormais plus riches, plus masculins et les réseaux sociaux influencent de plus en plus leurs habitudes de consommations, en particulier pour les vêtements.

Haro sur les geeks


Un public éduqué et orienté technologie qui colle bien à l’univers du show phare de la plateforme et que les marques aimeraient bien séduire. « C’est ce que fait la mode : développer de nouveaux publics », souligne le sociologue. Après avoir fait croitre la mode homme et rendu l’industrie plus inclusive à différents âges, types de corps et origines ethniques, le luxe s’attaque à l’un des derniers bastions : les geeks et leur réputation de population « réfractaire à la mode, que ça n’intéresse pas ou qui met un point d’honneur à ne pas suivre la tendance », décrit Frédéric Godart. Avec l’avènement des baskets comme produit de luxe et des tee-shirts à messages, la mode a déjà fait quelques clins d’oeil à ce nouveau segment. « Un public de collectionneurs qui aiment le sportwear, la référence geek, manga et science-fiction. Un public qui, d’ailleurs, a souvent de l’argent », poursuit le sociologue.

Nicolas Ghesquière, directeur créatif de Louis Vuitton, capture probablement le mieux l’esprit de la vague Netflix sur la mode. Après s’être affiché aux côtés de la jeune équipe sur son balcon avec vue sur la Seine, le fan de science-fiction sort un tee-shirt à l’effigie du cast. Une pièce de pur fanboy qu’on pourrait sans problème trouver sur une table de merchandising à une convention de sci-fi. Seule concession mode, une mini chaine, à quelques centimètres du col. Loin du travail d’orfèvre des looks de podiums.

Miroir des générations

Pierpaolo Piccioli, directeur artistique de Valentino, a lui puisé son inspiration printemps/été 2018 dans The Get Down, série qui raconte la naissance du hip-hop dans le Bronx à la fin des années 70, sur une BO de Grandmaster Flash. Dans le cast, photographié entre autres par Annie Leibovitz, un atout mode de taille : Jaden Smith, roi du cool et fils du Prince de Bel-Air, Will Smith, idole de la génération 90’. Le « miroir de générations » Netflix dans tout son éclat, analyse Frédéric Godart : si vous n’avez pas l’âge des ados-stars, alors elles racontent une époque à laquelle vous vous identifiez. « Les années 80, c’est le passé de ceux qui arrivent maintenant aux commandes. » Jaden Smith a lui aussi été repéré par Louis Vuitton qui lui a fait prendre la pose – how edgy – en jupe pour la collection femme. Son père, lui, parodie le rejeton dans la plus belle tradition des papas embarrassants d’Instragram. Gagnant-gagnant.

En matière d’esthétique, Netflix a su créer un univers Breakfast Club nouvelle génération, l’esprit woke en plus. Eleven dans sa robe rose ultra girly tachée, tête rasée, blaser bleu et nez ensanglanté s’est ainsi élevée au rang de culte en quelques mois seulement. Années collège toujours avec The Kissing Booth, une rom-com un peu niaise donc les personnages principaux affichent leurs amours à la vie comme sur les écrans. Ou le carton 13 Reasons Why (deuxième au classement des séries familiales 2017), dont l’actrice Katherine Langford est habillée par Gucci, fait la couverture de L’Officiel et est invitée à la cérémonie de récompense de l’industrie de la mode, CFDA Awards. Après le normcore de Friends, l’excentricité haute couture de Super Nanny et le mauvais goût ironique de Seinfeld, Netflix devient le prescripteur mode par excellence, au point que l’on se met a envier les costumes hippy de Wild Wild Country, série documentaire sur un gourou indien et sa communauté dans l’Oregon.

Signe de l’hégémonie Netflix, les darlings de la mode n’hésitent pas à passer de Hollywood à la plateforme de streaming. Deux ans après avoir donné la réplique à Nathalie Portman dans Planetarium, Lili Deep-Rose, égérie Channel, tournera The King, un film d’époque, création originale Netflix. Elle donnera la réplique à l’acteur et mannequin Robert Pattison. La boucle est bouclée.