Mais que se passe-t-il chez Soundcloud ? des rumeurs de mort imminente, la pub qui débarque, des restrictions d’écoute ou des comptes payants… Huit ans après son lancement, l’entreprise cherche toujours un business model viable. En collaboration plus ou moins conflictuelle avec ses partenaires…

Illustration : © Camille Besse

Révélée par le fondateur de Digital Music News Paul Reskinoff, la nouvelle a fait le tour du monde: SoundCloud serait “à un niveau de cash dangereusement bas” et la situation pourrait devenir sérieuse d’ici quatre à cinq mois. La fin de SoundCloud à la fin de l’année ? Après la fermeture brutale de Grooveshark en mai, on s’attend à tout – quitte à tirer des plans sur la comète.

SoundCloud n’est pas encore mort. Mais il est vrai que depuis un an ses dirigeants procèdent aux grands travaux. D’abord, en août 2014, avec l’arrivée de la pub sur la plateforme. En mars 2015, les dirigeants lancent une fronde contre les morceaux soumis aux droits d’auteurs utilisés sans autorisation puis, en juin, limitent les écoutes sur les applications tierces. Enfin, le 23 juillet, Eric Wahlforss, cofondateur et directeur de la technologie, confirme le lancement d’une offre payante pour les “consommateurs” dès la fin de l’année.

SoundCloud a-t-il “choisi la voie royale du capitalisme” ? Est-ce “le moment de se tourner vers MixCloud” ? Sur internet, les commentaires vont bon train. Les changements de SoundCloud sont, de toute évidence, plutôt mal vus par les utilisateurs. “Les douze derniers mois ont été importants pour SoundCloud, reconnaît Eric Wahlforss qui répond à nos questions par écrit et dans un langage prudent. Mais nos motivations restent les mêmes: fournir les outils et les services à la hauteur de la plus grande commu- nauté de musiciens et de créateurs audio.”

29 millions de perte

“Il y a deux côtés dans cette histoire, résume Budi Voogt, patron du label indépendant Heroic et auteur de The SoundCloud Bible. La communauté, qui veut la liberté de faire ce qu’elle veut. Et puis il y a SoundCloud, qui est dirigé comme une start-up, une entreprise tech comme Spotify. Ils ont reçu beaucoup de capital-risque, ils grossissent très rapidement et ont beaucoup d’influence. C’est important qu’ils évoluent.”

Voilà qui mérite d’être rappelé. Si SoundCloud a éclos sur un modèle peu rémunérateur d’échanges entre artistes et auditeurs fidèles – tirant sa seule source de revenue des fournisseurs de contenus les plus actifs -, il s’agit bien d’un business. Côté popularité, la plateforme affiche une forme olympique : 175 millions d’auditeurs mensuels et douze heures de musique uploadées chaque minute. Mais les bénéfices se font attendre. En 2013, l’entreprise affichait un déficit de 29 millions de dollars pour 14 millions de dollars de revenus.

Huit ans après son lancement, il est temps de trouver un modèle viable. D’autant que les dépenses sont amenées à augmenter. “Il y a beaucoup de contenus qui viennent de labels plus ou moins grands, mais aussi de sociétés éditrices, explique Budi Voogt. Quand SoundCloud était petit, ça n’avait pas d’importance. Mais aujourd’hui les éditeurs et ayants droit demandent à ce que leurs droits soient payés pour le contenu utilisé.”

Chasse aux copyrights…

Comment rémunérer les artistes – et les maisons de disques et éditeurs qui les représentent ? La première solution, développée depuis plus d’un an et mise sur le marché en août dernier, est On SoundCloud. Un programme “sur invit’ only”, similaire au modèle YouTube, grâce auquel les artistes et ayants droit peuvent choisir de monétiser leur contenu par la publicité. Pour le moment, celle-ci n’est présente que sur la version américaine de la plateforme, “mais notre ambition est que chaque créateur – dix millions à l’heure actuelle – puisse rejoindre le programme s’il le veut”, précise Eric. Traduction : la pub a de fortes chances de débarquer sur le web fran- çais.

Aux mécontents, Eric sait quoi répondre : “À chaque fois qu’une pub est entendue, un artiste est payé.” Un argument qui a convaincu Budi Voogt, dont le label est l’un des “Premier Partners” du programme. “Avec la croissance de SoundCloud, les artistes électroniques et les labels indépendants d’électro ont soudainement un énorme marché. SoundCloud a été très important pour la croissance de notre label et de nos artistes. Plus la plateforme est grande, plus nous avons d’opportunités.”

Le revers de la médaille, reconnaît-il cependant, ce sont les restrictions qui viennent avec ces nouvelles responsabilités : pas de remix non officiel ou de DJ-mix. Depuis avril, de nombreux artistes ont vu leurs mixes effacés par l’équipe de SoundCloud et son partenaire Zefr (qui scanne aussi le contenu de YouTube à la recherche de violations de droits d’auteurs). Sur une plateforme devenue populaire en grande partie grâce à ses bootlegs, la nouvelle politique passe mal. “Nous comprenons les frustrations de toutes les parties, y compris des DJ’s, et nous affinons nos règles à mesure que ce nouvel écosystème de musique digitale évolue”, se défend Eric. Le challenge : développer des accords pour monétiser les mash-ups et remixes. “Une nouvelle avenue pour l’industrie”, juge-t-il, et pourquoi pas “le futur de la musique sur le web”.

…et pression des majors

SoundCloud marche sur des œufs. Si en public Eric Wahlforss “se félicite d’entretenir de bonnes relations avec les labels et leurs artistes, quelles que soient leurs tailles”, les fuites semblent plutôt faire état de tensions entre SoundCloud et ses partenaires. En novembre, un accord a été trouvé avec Warner (qui détiendrait désormais entre 3 % et 5 % des parts de l’entreprise, selon le Wall Street Journal) puis en juin avec Merlin (qui représente plus de 20000 labels indépendants). Au moment où nous écrivons ces lignes, un terrain d’entente aurait été trouvé avec Universal. Ce qui n’est pas encore le cas avec Sony.

Le 1er juin, Paul Reskinoff – décidément bien au fait des tumultes de SoundCloud – sort un nouveau scoop : un contrat “leaké” de dix-neuf pages, selon lequel SoundCloud devrait payer 10,5% de ses revenus publicitaires ou 22 % des revenus en droit d’auteur – peu importe l’option qui rapportera le plus. Le 22 juin, c’est une menace de poursuite judiciaire pour “violation de droits d’auteurs massive” qui fait surface, toujours sur Digital Music News. Du côté de SoundCloud, on fait profil bas: “Nous ne pouvons discuter les détails de nos accords commerciaux, ceux-ci étant toujours confidentiels.” Ceux qui en parlent le moins…

Article publié dans Tsugi Magazine, septembre